Camrail

Publié le par Pensées et réflexions...

Le groupe français, gestionnaire du chemin du Cameroun, veut faire pression sur le gouvernement pour qu’il participe au programme d’investissement.

 

Le nouveau directeur général de Camrail ne prendra officiellement ses fonctions qu’en juillet, mais déjà il fourbit ses armes en prévision de la campagne qu’il devra mener dès qu’il aura pris ses quartiers à Douala. Didier Vandenbon doit en effet convaincre les autorités camerounaises de contribuer de façon significative à l’effort global d’investissement pour le redressement  de l’entreprise de transport ferroviaire. Le groupe Bolloré, titulaire depuis 1999 et pour trente ans de la concession d’exploitation de l’unique chemin de fer du pays, estime que le coût de cette privatisation est essentiellement à sa charge, alors que les retombées bénéficient principalement au Cameroun. « Il faut tout revoir, tout redessiner, rééquilibrer la base de cette collaboration, pour faire en sorte que nous soyons véritablement dans un partenariat gagnant-gagnant et même que, tout simplement, cette privatisation ait un sens », affirme Dominique Lafont, le directeur général Afrique des activités du groupe.

 

Au siège de la multinationale, à Paris, on évoque un ensemble d’arguments « objectifs » allant dans le sens d’une « remise à plat » de la concession. En premier lieu, la façon dont le groupe a « globalement tenu ses engagements » vis-à-vis du Cameroun et « investi largement plus que ce qu’il avait été prévu au départ », soit 110 milliards de F CFA (170 millions d’euros) au lieu de 63 milliards. Et d’ajouter que « les caisses de l’Etat n’ont jamais autant reçu d’argent du rail », un montant estimé à 63 milliards de F CFA en taxes et dividendes depuis 1999, à comparer aux 4 milliards de F CFA que l’Etat versait chaque année à l’entreprise pour soutenir son activité, jusqu’à la veille de la privatisation.

 

Le transport de marchandises a représenté un chiffre d’affaires de 41 milliards de F CFA, en hausse de 77% depuis 1998, et le transport de passagers a augmenté de presque 20% sur l’ensemble des lignes, atteignant un chiffre d’affaires de 6,4 milliards de F CFA l’année dernière. Un « succès incontestable », se félicite-t-on chez Bolloré, dont le Cameroun devrait tirer une fierté d’autant plus grande que Camrail appuie la politique d’aménagement du territoire des pouvoirs publics en favorisant l’exportation, via le port de Douala, des principaux produits de rente venus de l’intérieur du pays (coton, bétail, bois, cacao, café), en même temps que la circulation des personnes entre le Nord et le Sud.

 

Côté passagers, l’appréciation est tout autre. « Est-ce normal que l’on parte de Douala à 8 heures du matin et que l’on n’arrive à Yaoundé que vers 15 heures, alors qu’une voiture fait le même trajet de 260 kilomètres en trois heures ? » dit un voyageur. Tous déplorent les trains qui sont toujours aussi vétustes qu’à l’époque de l’ancienne société étatique, les retards importants, les déraillements fréquents, les dessertes fermées et une qualité de service qui ne s’est pas amélioré… alors que l’Etat verse annuellement 4 milliards de F CFA à la compagnie au titre d’une subvention destinée à soutenir le trafic passager.

 

Pour les autorités camerounaises, ce point est prioritaire dans la discussion globale avec Bolloré. « Certes, dans la situation actuelle, l’effort d’investissement est trop exclusivement à la dépense du repreneur, reconnaît un haut responsable du Comité technique de privatisation et de liquidation des entreprises publiques et parapubliques, familier du dossier. Mais il faut reconnaître que Camrail ne gère pas bien la question sociale. » Le ministère des transports renchérit : « Nous sommes d’accord pour parler d’une deuxième phase de notre partenariat mais nous ne participerons à l’effort d’investissement qu’à la condition que Camrail ne soit plus une concession, mais un affermage. » En d’autres termes : l’Etat garde la propriété des infrastructures et des équipements, le groupe Bolloré devenant simple exploitant, versant une redevance dont le montant est fixé à l’avance, quels que soient les résultats. Proposition que Camrail refuse. « Nous devons donc négocier et faire évoluer nos positions, tempère-t-on au ministère de l’économie et de la planification, mais pas dans la logique actuelle, où Camrail impose ses vues et nous demande de suivre. »

 

Reste que Bolloré ne semble pas disposé à se montrer aussi patient : « Nous avons déjà perdu beaucoup de temps, regrette Yann Danvert, directeur des activités ferroviaires du groupe. Nous devons aller d’autant plus vite que les bailleurs de fonds sont prêts à suivre. » Manière de mettre dans la balance une série d’investissements urgents, notamment des travaux de rénovation des voies. Côté camerounais, le Comité technique de privatisation et de liquidation rappelle que la Banque mondiale vient d’accorder un financement de 3 milliards de F CFA au Cameroun pour la réfection d’un tronçon de 125 km, entre Yaoundé et Bélabo. « La société Camrail se plaint de devoir supporter seule le poids des investissements. Pour quelle raison ses patrons n’évoquent-ils pas ce prêt de la Banque mondiale, que l’Etat doit rembourser, et que nous allons leur rétrocéder, gratuitement, sous forme de don ?

 

Un discours d’un ton nouveau qui, espère-t-on à Yaoundé, pourrait influencer l’attitude des responsables de Camrail. A moins que le Cameroun, comme ils en semblent convaincus, manque d’une vision claire de la gestion et de l’avenir de son réseau ferroviaire. « Dans ce cas, prévient un responsable du ministère des transports, il ne faudrait pas s’étonner que Bolloré finisse par imposer son point de vue. »

(Sources : L’intelligent Jeune Afrique – 22 juin 2008)

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